Interviews — 19 mai 2014

Avec un cinquième album sorti en novembre 2013, la tournée de Grand Corps Malade fait un carton plein. Rien d’étonnant, l’homme a du talent et on rêve tous de l’avoir comme grand frère, pote ou cousin. Rencontre avec un poète au printemps, qui a fait le choix de vivre heureux en racontant les gens.

 

Le slam «sert à s’exprimer de manière libre et sans contrainte, concours de déclamations de textes poétiques, règles minimales et talent d’orateur»… dixit Wikipédia, je n’ai pas fouillé loin. Quelques lignes plus tard, en France, le «spoken word» fut employé avec brio dès le début des années 70 par certains Léo Ferré et Serge Gainsbourg pour Amour Anarchie (1970), Histoire de Melody Nelson (1971) , Il n’y a plus rien (1973)…ça c’est pour l’histoire, qui décortique, cherche à comprendre la marche spontanée de ceux qui font les histoires en jouant sur les mots, leur sens et leur musique. C’est en forgeant qu’on devient forgeron, et c’est en slamant…j’arrête là, manque de rime. Le slam est bien vivant, c’est une affirmation en boucle et en rebonds. Il joute avec les mots, les maux, l’émoi. Il envoie le message, il sait faire face.

Je connais peu Grand Corps Malade alias Fabien Marsaud, mais nous avons tous, un jour, entendu sa voix profonde, ce qu’il disait n’était pas con. Grand Corps Malade avance la tête haute et drible avec les mots, résumant en quelques rimes des pans entiers de la nature humaine: «Le corps est un royaume où chaque organe veut être le roi. Chez l’homme, trois leaders essayent d’imposer leur loi. Cette lutte intestine permanente est la plus grosse source d’embrouille, elle oppose depuis toujours le cœur, la tête, les couilles.» Il semblerait qu’il ait résolu l’équation… Grand Corps Malade, on l’aime aussi pour ça: un brin moraliste et fleur bleue. Après l’acceptation, Fabien Marsaud regarde décidément le verre à moitié plein, avec le courage de tous ceux qui se remettent debout. C’est un homme qui jette son encre dans la vraie vie et frole les étoiles, sa poésie n’exclut personne.

Funambule de Grand Corps Malade – Direction musicale Ibrahim Maalouf (2013)

 

Factotum: Fabien Marsaud, vous êtes en pleine tournée… comment ça se passe?

Fabien Marsaud: En effet, 30 dates pour cette tournée 2014 et nous sommes très contents ! Je ne distribue pas de questionnaire à la sortie des concerts, mais en effet, le public est très mélangé en âges et en catégories sociales. Le spectacle est aujourd’hui bien rodé, ce qui nous permet de sortir de nos automatismes et de tenter des choses avec les trois musiciens qui m’accompagnent.

Par quoi commencez-vous quand vous travaillez… texte ou musique?

Il y a la préparation de l’album et il y a la scène, ce sont deux choses très différentes. J’écris mes textes et non la musique, pour laquelle je bosse avec des compositeurs et que nous peaufinons ensemble. Pour la scène, nous arrangeons les morceaux avec les moyens du bord.

Vous avez écrit votre premier texte à 15 ans. Comment travaillez-vous votre écriture?

Il n’y a pas vraiment de règle! Je n’écris pas tous les jours, malheureusement. Je travaille au feeling, sans idée précise et j’y reviens, je rature, je recommence pour arrêter la forme définitive du texte. A 15 ans, j’écoutais beaucoup de rap français et j’écrivais pour le plaisir. Je me destinais à faire du sport et non de la musique.

Vos textes sont teintés de réalisme et d’espoir. Naïveté ou conviction?

J’espère qu’il y a encore de la naïveté, c’est mon état d’esprit. Mais je suis aussi un optimisme, convaincu que même dans les situations les plus graves, il y a toujours un espoir, une porte entrouverte.

Animez-vous toujours des ateliers d’écriture?

Moins régulièrement, mais je fais des interventions dans les écoles, les collèges, les prisons. Je n’ai rien à gagner, si ce n’est de faire plaisir et de me faire plaisir. Cette expérience m’apporte beaucoup, c’est important de sortir de son milieu artistique pour aller à la rencontre de la vraie vie. Pendant trois ou quatre ans, j’ai animé des ateliers dans une maison de retraite, auprès des résidents et de jeunes du quartier, qui construisaient leurs textes à deux ou à trois. Il y avait un mélange des âges et des provenances, c’était extrêmement enrichissant. Nous avons écrit, préparé un spectacle et fait un disque, certains n’avaient jamais écrit de leur vie.

Ecrit-on à 20 comme à 70 ans?

Encore une fois, n’y a pas de règle, simplement des caractères différents. Je me rappelle d’une mamie très douce, très optimiste, d’une autre qui exprimait sa révolte, ses engagements, d’une autre encore qui racontait le Saint-Denis de son enfance…

Le succès est-il une entrave au bonheur?

Non, je ne pense pas. Bien sûr, il y des pièges à éviter, mais j’ai la chance d’avoir une vie de famille et de conserver un équilibre. Le succès apporte juste un petit supplément au bonheur, en sachant à quel point il peut être éphémère.

Le statut des intermittents est régulièrement remis en question. Un commentaire?

C’est un statut qu’il faut absolument protéger. Je ne parle pas pour moi, mais tous ceux qui travaillent dans l’ombre et qui sont dépendants de l’activité. Leur posture est trop fragile, et le statut d’intermittent ne devrait pas bouger, car il est plutôt bien foutu.

Propos recueillis par Florence Vergély

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