Crocs niques ! — 07 novembre 2014

Après « Eléna », film désespéré qui nous montrait la société russe gangrenée par l’argent, « Leviathan » nous transporte dans une région sauvage et désolée de la côte nord où vit – ou survit – une petite communauté de pêcheurs, dont les femmes travaillent dans une conserverie.

Kolia possède une maison et une petite parcelle attenante su’il refuse de céder au gouverneur. Il contrarie ainsi le projet de construction d’un vaste ensemble touristique. Tout sera fait pour le faire reculer, depuis la perte de son titre de propriété jusqu’à son statut de père et de citoyen puisqu’il est accusé d’avoir tué sa femme et condamné.

Une machine impitoyable et broyeuse d’hommes est à l’oeuvre. Elle réduit la plupart au silence, elle en emprisonne d’autres, en pousse certains au suicide. C’est le règne de la peur, su service de quelques potentats qui ont tous les pouvoirs, avec pour principal allié l’alcool qui coule à flots et autorise tous les aveuglements et toutes les violences. Un climat d’angoisse pèse sur la film, car la brutalité est tapie, palpable et propice à l’accomplissement sans ménagement de la loi du plus fort.

Le titre de « Léviathan » fait ainsi référence au traité politique de Hobbes pour qui Léviathan est l’Etat qui peut utiliser tous les moyens pour faire respecter l’ordre dans la communauté. Pourtant, le film n’est pas seulement la dénonciation d’un système politique corrompu. Léviathan est aussi un monstre biblique, qui vit dans les flots et qu’il ne faut pas réveiller: le mal à l’état brut, invincible sauf par Dieu. Tous les personnages sont habités par cette force obscure, se débrouillent comme ils peuvent, composent, trahissent, se saoulent, se battent, s’efforcent d’être meilleurs sans succès. Sous cet angle, Kolia est un personnage totalement dostoïevskien, il incarne la malédiction qui frappe l’humanité. Cette dimension symbolique est d’ailleurs soulignée par les paysages inhospitaliers, les carcasses de bateaux et les squelettes de baleines échoués sur la côte. L’enfer… Par tous ces aspects, le dernier film de Andreï Zviaguinstev nous touche profondément, la beauté des images et la musique de Philip Glass aidant…à condition que l’on ne soupçonne pas l’auteur d’une possible complaisance pour le désespoir.

Catherine V.

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